Heureuse d’improviser… et de bégayer grâce au Self-Help

Parler en groupe du bégaiement et en toute liberté sur Paris

Heureuse d’improviser… et de bégayer grâce au Self-Help

2 octobre 2025 Actualité Différents Auteurs 1

La première fois que j’ai entendu parler du self-help, on m’a expliqué qu’il s’agissait d’un cercle de parole destiné aux personnes qui bégaient, se réunissant toutes les trois semaines. Dans ma tête, ce fut une véritable révolution. C’était comme si ce handicap, que j’avais mis tant d’énergie à dissimuler pendant des années — jusqu’à le nier — devenait soudain une passerelle, une ouverture, presque un privilège.

Mais le véritable choc est arrivé lorsque j’ai assisté à ma première séance. Ce jour-là, j’ai participé pour la première fois de ma vie à un atelier d’improvisation théâtrale, animé par la LIP (Ligue d’Improvisation de Paris) — et gratuitement, en plus. 
J’étais ravie… mais aussi stupéfaite.

Stupéfaite, car en tant que personne bègue, ne pouvant pas toujours contrôler mon débit de parole ou mes blocages, j’ai appris à tout maîtriser dans les autres aspects de ma vie. Or, l’improvisation, c’est tout l’inverse : c’est le lâcher-prise, l’acceptation de l’instant, c’est même parfois choisir d’être ridicule, volontairement. Et ça, c’est l’une de mes plus grandes peurs.

Stupéfaite aussi, car très rapidement, j’ai pu accepter de moins réfléchir avant d’agir, de jouer avec les autres, de croiser leurs regards sans redouter leur jugement lorsque je butais sur un mot. J’ai appris à prendre la lumière quelques instants — quelques secondes, quelques minutes — moi qui avais toujours cherché à me faire toute petite, à éviter de me faire remarquer à cause de ma différence, par crainte d’inspirer la gêne ou la pitié.

Enfin, stupéfaite de constater que l’improvisation regroupait tout ce qui me terrifiait… mais dans un environnement profondément bienveillant, accueillant, sécurisant. Et contre toute attente, j’ai eu envie de revenir. Sans hésitation, sans boule au ventre. Avec, au contraire, le sentiment d’être privilégiée.

Les séances se sont ensuite enchaînées, toutes les trois semaines.
Nous étions parfois nombreux, parfois moins, plus ou moins à l’aise, plus ou moins engagés. Mais toujours liés par la même curiosité, la même envie d’oser.

Les exercices collectifs ne nous forçaient pas à nous cacher derrière des personnages : ils faisaient au contraire émerger nos personnalités. Les plus extravertis se mettaient en scène avec aisance, gagnaient en présence, brillaient et ne s’en excusaient pas. Tandis que les plus réservés, plus introvertis, proposaient des idées originales, des répliques souvent percutantes, toujours surprenantes, devenant ainsi des sources d’inspiration pour tout le groupe.

Les moments les plus marquants, selon moi, étaient les exercices corporels, ceux qui faisaient appel au mouvement, à la prise d’espace, parfois avec la voix, parfois sans un mot, juste par le mime, le geste. 
N’ayant pas l’habitude d’utiliser mon corps pour m’exprimer — moi qui avais appris à minimiser ma présence, à écourter mes prises de parole, à me faire oublier — j’ai soudain expérimenté une manière d’être opposée à mes réflexes habituels, à mon éducation, qui s’est avérée profondément libératrice.

Je souhaite ici rendre un hommage sincère à nos formateurs, véritables passionnés, qui ont su délivrer une véritable masterclass d’adaptation.
Ils arrivaient toujours préparés, avec une liste d’exercices, des propositions de scènes, un déroulé précis pour respecter le timing, un cadre structuré — ce qui représente déjà un travail considérable.

Mais surtout, leur attitude a toujours été exemplaire : à l’écoute, ouverts, patients, profondément respectueux.
Les exercices ont évolué à chaque session, nourris à la fois par nos retours et leurs observations fines : ce qui fonctionnait, ce qui devait être ajusté. Ils ont su nous captiver, nous embarquer, que nous soyons 10 ou 35.
Ils ont su accueillir des nouveaux à chaque séance, gérer des participants plus ou moins intimidés, plus ou moins réceptifs, et créer à chaque fois un espace d’échange et de plaisir partagé.

Leurs retours ont toujours été bienveillants, constructifs, mais surtout, ils nous ont appris à oser formuler les nôtres, à argumenter nos ressentis, à assumer notre regard sur les différentes prestations. Leur jeu s’est adapté au notre, et ils ont su tirer notre jeu vers le haut pour, à terme, nous tirer tous vers le haut.

Et grâce à ce travail, grâce à cette attention collective, ils ont réussi à créer un véritable groupe. Un groupe de personnes qui, désormais, ne veulent plus rater une seule séance d’improvisation (ou de “récréation”) théâtrale, et qui ont tissé entre elles un lien fort.
Car oui, en improvisant ensemble, nous avons appris à nous voir vraiment.
Et aujourd’hui, même en dehors des ateliers, nous savons nous parler, nous écouter, nous inspirer mutuellement. Et cela, c’est sans doute grâce aux jeux que nous avons eu la chance de partager.

Je dois l’admettre : beaucoup de choses ont changé dans ma manière d’être, de me tenir, de me présenter, pendant et depuis ces séances.

Pendant les cours, j’ose faire partie du premier groupe de volontaires, j’ose proposer mon idée et la défendre jusqu’au bout — même si je bégaie, même si je ressens une réticence en face.
Et surtout, j’éprouve un véritable plaisir à écouter les autres, sans peur de “manquer le coche”, car je sais que j’aurai ma place, que je trouverai une manière de faire passer mon message.

Je ne m’y attendais pas mais je redoute beaucoup moins les tours de table, cette angoisse si familière pour beaucoup de personnes qui bégaient, que je considère aujourd’hui comme un exercice ludique, un défi amusant et plus comme un Everest à gravir.

Mais les changements les plus profonds, je les constate dans mon quotidien :

Je me tiens plus droite. Je regarde les gens dans les yeux.
Je vais au bout de mes phrases, même quand un mot me résiste.
Je parle plus librement à mes proches, je dis ce que je pense, ce que je ressens.
Je soigne mes entrées et mes sorties.
Je suis plus attentive à ce qui m’entoure.
J’ai davantage confiance en moi. J’ose dire non.
J’ose me taire, aussi, sans craindre de rater une occasion de parler.
Je n’anticipe plus ce que je veux dire pendant que les autres parlent.

Je cherche moins la perfection que la satisfaction personnelle. 
Et surtout : je suis moins stressée à l’idée de bégayer.

Je l’assume mieux, avec un sourire peut-être, et des yeux qui se baissent… mais brièvement. Je sais aujourd’hui que ce n’est pas la fin du monde.
Que ce n’est pas le nombre de blocages qui compte, mais l’envie, le besoin de dire ce que j’ai à dire.

En d’autres termes : c’est le message qui prime, bien plus que la manière dont il est exprimé. Et ça, c’est incroyablement libérateur.

Quand je pense au fait que les personnes qui bégaient sont si peu représentées dans les médias, sur scène, dans les espaces publics…
Quand je repense à nos principales activités extra-scolaires, souvent réduites à des séances d’orthophonie…
Quand je réfléchis à tout ce qu’on nous interdit, et à tout ce que nous nous interdisons nous-mêmes…

…et que je vois ce que quelques mois d’improvisation théâtrale ont changé pour moi — mais aussi pour mes camarades du self-help — je me dis qu’il y a là quelque chose de puissant.


Un vrai défi, oui. Parce qu’il a fallu du courage, autant pour nous que pour les formateurs.


Mais surtout, une ouverture, une chance de grandir, de découvrir, de s’exprimer autrement, et peut-être plus librement.

Parce que oui : “bégaiement” et “improvisation” semblent être des antonymes.


Et pourtant, leur alliance fonctionne.


Et quelle alliance!

 

Une réponse

  1. Nejoua Barouni dit :

    Fière de toi , continue , tu es sur la bonne voie !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *